Sylvette

Le felis silvestris, idéal pour les vieilles à chat

Je connais Sylvette depuis si longtemps.

Une jolie dame blonde, un peu ronde, toujours apprêtée, dans son nuage de parfum.

Nous nous croisons dans le petit village, nous échangeons un sourire, un mot, un geste de la main.

L’an passé, son époux est décédé subitement. Comme ça, sans prévenir! Depuis Sylvette ne se défait pas de sa peine.

Quelques mois plus tard, toujours triste, elle m’explique qu’elle a appris à utiliser Blablaccar pour rendre visite à ses filles installées à Cahors et à Brest. Qu’elle ne se fait pas à la vie sans lui, elle s’ennuie et tourne en rond, dans sa maison trop grande avec si peu d’amis ! Une cousine par alliance vient marcher, de temps en temps, rarement, le malheur fait peur aux gens, comme si c’était contagieux !

La semaine derrière, elle est dans sa voiture près du château d’eau. Sa fille, en pleurs, au bout du GSM son chat a été écrasé, Sylvette voudrait prendre sa peine. Elle sait ce que sont les compagnons de vie pour ceux qui les aiment tant, trop ! D’ailleurs, depuis que Jean Jacques est parti, Sylvette ne vit que pour ses chats, elle dort avec eux, elle ne voyage plus car elle ne supporterait pas qu’il en manque un à son retour, Je suis devenue une vieille à chats me dit-elle.

Je la rassure, je connais beaucoup de vieilles à chat, j’en suis une, ma fille et mes fils aussi, mes sœurs, leurs enfants, ma mère également, nous pourrions monter un club de « Vieilles à chats », cela l’a faite sourire. Pierrette ne veut quitter ni ses chats ni sa maison, sa maison qui est jolie dehors mais vieille dedans. Sa cousine Eliette lui a dit, tu devrais faire quelque chose, la rafraîchir, dedans c’est trop vieux.

Il n’en est pas question me dit Sylvette, sur ce carrelage a marché ma grand-mère et d’autres femmes avant elle. Vous savez me dit-elle, c’est une maison de femmes, nous sommes sept générations à nous succéder en cet endroit. Une lignée de femmes, Esther, Marthe, Lucie, Léonie, Julienne, Stéphanie et moi...

Lors de la messe du bout de l’an de Jean Jacques, Sylvette a sorti la lettre, celle de son aïeule Esther, à l’encre presque effacée, relique intacte qui a traversé les années, cette lettre qui revient pour les repas de famille et les grandes occasions, en la lisant la voix de cousine Eliette a tremblé et dans son œil une larme a brillé.

Depuis quelques jours, je retranscris l’histoire de cette maison, au début, j’ai lu une interrogation dans les yeux clairs de Sylvette, puis au fil de nos entretiens, j’y ai vu une lueur d’espoir, un éclat nouveau.

Entre mes lignes